Depuis plus de 20 ans, Philippe Arlin apporte son regard de sexologue et de psychologue aux actions de prévention imaginées par Solidarité Sida et forme les bénévoles Prévention avec l’idée que l’on ne peut pas comprendre la prévention si l’on n’a pas compris les enjeux d’un rapport sexuel.
Bonjour Philippe, pouvez-vous vous présenter rapidement ?
Je suis Philippe Arlin, je suis sexologue et psychologue. Je travaille sur Paris et Poitiers et je participe à l’association quasiment depuis son début.
Comment cette aventure avec Solidarité Sida a commencé pour vous ?
J’étais salarié de Sida Info Service en parallèle de mes activités de sexologue et de psychologue. J’y ai travaillé quelques années et très naturellement le partenariat associatif faisait que les écoutants sur le stand Sida Info Service intervenaient à Solidays ou faisaient passer des questionnaires sur l’exposition Sex In The City quand elle a commencé à exister. Ensuite, j’ai quitté Sida Info Service et j’ai travaillé pour d’autres associations, comme par exemple CCS (Couples Contre le Sida) qui était basée à Lyon et à Paris. Cette association avait également établi des partenariats avec Solidarité Sida et c’est comme ça que j’ai commencé à faire les premières formations « sexo » pour Solidarité Sida. Je suis ainsi passé petit à petit du côté de la réflexion, particulièrement sur Sex In The City, mais aussi à l’encadrement et au debriefing post-festival des bénévoles Prévention.
Pouvez-vous nous raconter plus en détails en quoi consiste votre rôle sur le festival et en dehors du festival ?
En dehors du festival, j’ai un rôle de sexologue. Je suis militant dans la lutte contre le sida depuis 1985 et j’ai donc toujours participé bénévolement à des associations. Que ce soit avec les responsables Prévention de Solidarité Sida ou toutes les personnes qui ont été successivement responsables du parcours Sex In The City, nous avons décidé de mener en amont une réflexion sur ce parcours. C’est à dire que je me suis permis d’apporter mon regard de sexologue à double casquette – puisque j’avais cette casquette de sexologue qui me permettait de parler des différents aspects de la sexualité, mais aussi ma casquette prévention puisque j’avais travaillé à Sida Info Service et que je travaillais depuis de très nombreuses années dans des associations de lutte contre le sida – et de conseiller Solidarité Sida sur la modification du parcours.
En quoi a-t-il été modifié ?
C’est une très très longue histoire Sex In The City ! Aujourd’hui les modifications ne sont pas aussi importantes qu’avant, mais il y a eu en permanence des créations et des modifications de salles. Que ce soit le Palais des Plaisirs, partie de l’exposition où l’on parle sans tabou de pratiques et de comment susciter le plaisir et le désir, que ce soit les salles qui ont trait au dépistage, présent dans la partie Safe Sex de l’exposition, au BDSM (Bondage, Discipline, Sado-Masochisme), espace du Palais des Plaisirs … Nous avons passé notre temps à essayer de réfléchir sur un parcours le plus fluide et le plus instructif possible en fonction des retours que nous avions, au travers des questionnaires, mais aussi de mes observations professionnelles ou de celles des bénévoles. Tous les ans, à partir de ce que nous récoltons, nous menons une réflexion. Nous avons ainsi beaucoup travaillé sur les IST, sur le Palais des Plaisirs où j’ai apporté une animation comme « Madame Irma », sur la roue qui est devenue la « Roue des zones érogènes » alors qu’elle était auparavant sur les sextoys. Ce qui a été à mon sens une vraie récompense pour Solidarité Sida, c’est quand l’exposition Sex In The City s’est retrouvée à Bastille en 2011 et 2013. Il y a 4-5 ans, avec une collègue que j’avais invitée à venir à Solidays, nous avons fait passer pendant les 3 jours du festival, un questionnaire « sexo » à un panel d’hommes, femmes, couples etc. Il s’agissait d’un entretien d’environ 1h au cours duquel nous posions plein de questions sur leur vision du parcours et sur leur rapport à la sexualité, à la prévention, où est-ce qu’ils avaient entendu parlé du VIH en premier… Nous avons ensuite dépouillé ces questionnaires et nous nous sommes servi des informations que nous avions obtenues pour modifier le parcours.
Au quotidien, vous travaillez essentiellement avec des jeunes ?
Non, pas du tout. J’ai de jeunes patients mais mon rapport aux jeunes se fait surtout avec Solidarité Sida. Dans les autres associations où j’ai travaillé, il y avait une parole vers les jeunes, mais pas aussi précise que celle délivrée par Solidarité Sida.
Pour vous il faut s’adresser différemment aux jeunes qu’aux personnes plus âgées sur les sujets de prévention ?
Je ne sais pas si l’on s’adresse différemment, c’est plutôt que les questions ne sont pas tout à fait les mêmes. J’observe que l’information, le rapport aux VIH est totalement différemment chez les moins de 40 ans. Avec l’étude, nous nous sommes rendu compte que quelle que soit la qualité de l’information qui avait été intégrée, il y avait quelque chose d’intégré en termes de connaissances, sans doute avec plein d’erreurs, mais les jeunes sont nés et vivent avec l’existence du VIH, alors que les 40 ans et plus ont connu un avant VIH et ont un rapport à la sexualité complètement modifié. C’était super intéressant pour moi de comparer les deux.
Avez-vous l’impression qu’il y a une baisse de la vigilance chez les jeunes ?
Tout le monde dit ça, tout le monde se pose la question, mais cela va dépendre dans quel domaine et à quel niveau. Je pourrais vous dire que je vois des jeunes avoir une vraie prise de conscience du VIH, être plus que jamais adultes et faire évoluer leur sexualité. Car c’est cela aussi être dans la prévention, ce n’est pas uniquement utiliser des outils de prévention, c’est avoir une vraie réflexion sur ses pratiques sexuelles. Et oui, il y a un relâchement dans d’autres domaines, dans certains types de fonctionnement. Il faut se méfier des chiffres, la réalité, c’est ce qu’on observe. L’InVS (Institut National de Veille Sanitaire qui fait maintenant partie de Santé Publique France) nous donne des informations très exactes. Je pense que les pratiques sexuelles se sont modifiées autour de l’intégration du préservatif.
Vous vous êtes engagé dans la lutte contre le sida de part votre métier, y a-t-il d’autres luttes dans lesquelles vous êtes engagé ?
Je suis militant en général pour le droit des femmes et surtout dans le domaine de la sexualité. Et il y a du boulot ! C’est surtout ça mon combat. Le combat contre le VIH, je le mène avec mes patients dans un travail de suivi, d’observance et je suis maintenant un peu dans le domaine de la prévention proprement dite. Désormais, je travaille plus en réflexion sur des stratégies à long terme, sur une meilleure compréhension de ce qui se passe. Je travaille beaucoup sur les problématiques de chemsex, c’est à dire tout ce qui est sexualité sous produits puisque j’ai beaucoup de patients qui sont là-dedans. J’essaie en tant que sexologue de trouver une réponse puisque ce n’est pas qu’une addiction, mais aussi une forme de sexualité dès lors qu’on a à faire à des gens qui ont du mal à avoir une sexualité en dehors de la prise de produits. Cela pose des questions en termes de prévention. Ce sont les combats que je mène en ce moment.
En dehors de votre intervention sur Sex In The City, vous intervenez donc également auprès des bénévoles Prévention de Solidarité Sida ?
Tout à fait, je fais depuis de nombreuses années des formations « sexo/ prévention » pour expliquer comment la compréhension de la sexualité amène un discours plus juste, plus équilibré, moins donneur de leçons sur la prévention. Comprendre la notion de plaisir dans la sexualité est extrêmement important. J’ai fait également pas mal de formations sur la compréhension des zones érogènes : qu’est-ce qu’une zone érogène, comment cela se travaille, comment l’éveiller… d’où les changements que nous avons apportés ensuite sur le Palais des Plaisirs avec l’adaptation de la roue aux zones érogènes. J’essaie de mener les bénévoles Prévention dans une réflexion sur les enjeux de la sexualité. On ne peut pas comprendre la prévention si l’on n’a pas compris les enjeux d’un rapport sexuel. Et l’enjeu d’un rapport sexuel ne se limite pas à prendre du plaisir. Pour certains, il joue une histoire d’amour, pour d’autres il joue l’image de soi. Il y a des milliers de choses dans un rapport sexuel qui ne sont pas forcément vus et analysés et qui sont la plupart du temps les causes de l’échec de la prévention. C’est à dire si dans l’enjeu de mon rapport sexuel ce soir il y a la capacité de vivre une histoire d’amour avec quelqu’un qui, exceptionnel ou enfin, m’a dit « oui », je crois que s’il me demande de ne pas mettre de préservatif, je vais dire « oui » parce que c’est plus important d’aller plus loin. Alors que si je suis dans un coup d’un soir, je ne vois pas pourquoi je prendrais de risques et dans ces cas-là, mettre un préservatif c’est plus facile, plus négociable. Si l’on ne comprend pas quel est l’enjeu derrière un rapport sexuel, quelle est la représentation pour la personne, on est dans une équation qui dit « pénétration/ préservatif, pas de ceci sans cela » mais personne ne pénètre pareil, ni pour la même raison, ni dans le même contexte, ni dans le même lieu et je trouve donc important de faire réfléchir les bénévoles sur ça. J’ai énormément de plaisir à travailler pour Solidarité Sida, sur Sex In The City, et j’ai hâte de rencontrer les nouveaux bénévoles Prévention.