Chaque année, Solidarité Sida met en place des actions de prévention et de soutien aux malades dans plus de 20 pays. Plusieurs fois par an, l’équipe des Programmes Santé & Solidarité de Solidarité Sida part en mission pour rencontrer les associations partenaires soutenues. Julie et Pauline reviennent d’une mission au Togo et au Bénin. Elles nous racontent.
Bonjour Julie et Pauline, vous revenez d’une mission au Togo et au Bénin. S’agissait-il d’une première mission dans ces pays ?
Pauline : Pas du tout ! Le Togo est un pays qui regroupe 5 de nos associations partenaires dont nous finançons 7 projets en 2017. Nous sommes donc amenés à nous y rendre très régulièrement. En revanche, c’était une première pour moi !
Julie : Pour ma part, j’étais déjà allée fin 2015 au Togo. En revanche, Solidarité Sida n’avait pas fait de mission de terrain au Bénin depuis 2013. Nous n’avons là-bas qu’une seule association partenaire, RACINES, et nous nous y rendons donc moins souvent.
Quelle est la situation épidémiologique de ces 2 pays ?
Pauline : Au Togo, aujourd’hui, environ 110 000 personnes vivent avec le VIH, ce qui correspond à environ 2,4% de la population du pays. Il faut cependant prendre du recul sur ces chiffres, puisque la prévalence est beaucoup plus élevée pour certaines populations clés : ainsi, celle-ci atteint 13,4% pour les travailleuses du sexe, et 20,4% chez les HSH (Hommes ayant des relations Sexuelles avec des Hommes). Concernant les personnes séropositives, 41% d’entre-elles sont aujourd’hui sous traitement antirétroviral, mais chaque année, environ 5 000 personnes meurent de causes liées au VIH/sida.
Au Bénin, la prévalence est un peu plus faible : 1,1% de la population est séropositive, ce qui correspond à environ 69 000 personnes. 49% d’entre elles sont sous traitement antirétroviral et 2800 décès liés au VIH/sida ont été enregistrés en 2015. Là aussi, la prévalence augmente fortement lorsqu’on s’intéresse aux populations clés : elle atteint 21% pour les travailleuses du sexe, et 12,6% pour les HSH.
Et donc quel était cette fois le but de votre mission ?
Pauline : Nous y allions pour rencontrer l’association AAEC (Afrique Arc-En-Ciel) qui est un partenaire récent puisque nous finançons l’association depuis seulement 2 ans. Nous les avions rencontré rapidement à l’occasion de missions auprès d’autres partenaires togolais, mais nous n’avions jamais eu l’occasion de passer plusieurs jours avec eux sur le terrain et d’aller jusqu’à Sokodé, dans le centre du Pays, où certaines des actions financées par Solidarité Sida sont organisées.
Julie : Jusque-là, nous étions toujours allés à Lomé, la capitale du Togo, et à Noépé à 1h de Lomé, mais nous n’étions jamais sortis de la zone de la capitale. Le fait de se déplacer implique des missions longues puisque Sokodé se trouve à 6h de route au nord de Lomé. Pour des raisons de sécurité, nous ne sommes pas autorisés à voyager de nuit, or la nuit tombe assez tôt, vers 17h30. Ceci qui implique de consacrer 1 journée à chaque déplacement, ce qui rallonge considérablement la mission. Comme il s’avère que nous avons également un partenaire au centre du Bénin que nous n’avions pas vu depuis longtemps, nous avons fait une boucle Lomé-centre du Togo (Sokodé) – centre du Bénin (Savalou) -Cotonou.
Comment s’est passée la rencontre avec ce nouveau partenaire togolais ?
Julie : Même si nous n’avions pas passé de temps avec eux sur le terrain depuis qu’ils sont financés, nous avons invités deux représentants de l’association à Solidays en 2016. Nous connaissions donc déjà les acteurs, mais nous n’avions jamais vu d’actions. Nous finançons un projet à Sokodé et un autre à Cinkassé qui se trouve encore plus au nord, à la frontière avec le Burkina-Faso. AAEC est une association qui travaille auprès des personnes LGBT, et plus particulièrement auprès des HSH. Le projet financé est un projet de « causeries communautaires», c’est à dire de groupes de parole entre HSH dans des contextes ruraux où la question de l’orientation sexuelle est complètement taboue.
Pauline : En particulier à Sokodé : la ville est à 80% musulmane, ce qui rend l’organisation des actions de prévention sur les risques sexuels assez délicate. C’est également compliqué de toucher ce public qui est très caché car le fait de dévoiler son homosexualité est clairement vécu comme impossible. AAEC doit donc réussir à organiser des actions de prévention sans dire que celles-ci sont à destination des HSH. C’est un équilibre très délicat à trouver pour l’association de réussir à toucher les bénéficiaires sans les exposer à des discriminations, voire à des violences.
Concrètement, comment s’y prennent-ils ?
Julie : Ils s’appuient sur un réseau de pairs éducateurs qui ne sont pas salariés de l’association, mais qui sont des relais dans la communauté, des volontaires qui ont fait leur coming-out, font partie des réseaux gays et identifient d’autres HSH à qui l’association peut ensuite s’adresser en toute confiance. Ces pairs éducateurs sont formés par l’association et se font le relais de discours de prévention adaptés à ce public. Le contexte religieux et le fait d’être en zone rurale est une double difficulté. Il y a beaucoup de gens qui doutent que l’homosexualité existe ! AAEC nous disait que parmi les bénéficiaires, qui ont entre 18 et 30 ans, certains ne se sentent pas homosexuels.
Pauline : Et d’ailleurs, ce qui est assez marquant c’est que lors de la séance de sensibilisation et de prévention à laquelle nous avons assisté, alors que nous savions qu’ils étaient ciblés en tant que HSH, certains, même s’ils n’étaient entourés que de gens qui ont les mêmes pratiques qu’eux, disaient « ma » partenaire et non « mon » partenaire parce que c’est inconcevable pour eux de verbaliser leur homosexualité.
Julie : Le projet que nous finançons prévoit uniquement des actions de prévention menées en soirée. Depuis Paris, sur papier, nous avions l’impression qu’il s’agissait de soirées très festives. Nous nous sommes aperçues sur place qu’il s’agissait en fait de soirées plutôt calmes sur fond de musique, mais qui servent de couverture aux bénéficiaires qui disent à leurs proches qu’ils sortent « en soirée » pour ne pas risquer de se justifier sur l’objet de ces rencontres.
Comment se déroulent ces soirées ?
Julie : L’action commence à 20h et dure jusqu’à minuit-1h. Les hommes arrivent et s’assoient tous ensemble avec un animateur de prévention (le pair éducateur bénévole) qui lance une discussion sans tabou sur la sexualité, le plaisir, l’utilisation des préservatifs… mais sans jamais parler de pratiques « entre hommes ». Une équipe d’un centre de santé est également présente pour réaliser gratuitement et anonymement des tests de dépistage rapide. Sur la trentaine de participants à la soirée, 25 ont souhaité être testés et aucun résultat ne s’est avéré positif. Ce qui est intéressant c’est le nombre important de participants qui profitent de l’action pour se faire dépister, ce qui est en soi une réussite.
Solidarité Sida a eu du flair en misant sur ce projet qui est aujourd’hui reconnu par les acteurs locaux comme particulièrement pertinent, au point que le Fonds Mondial de lutte contre le sida souhaite s’investir et financer ces mêmes activités par le biais d’un autre opérateur local.
Pauline : L’objectif pour AAEC est d’être l’acteur qui développe de nouvelles initiatives sur des territoires où aucune activité de prévention vers les populations LGBT n’est menée et soutenue par le Fonds Mondial. Nous voyons ce partenaire comme l’initiateur de projets pilotes qui, une fois qu’ils auront fait leurs preuves, pourront ensuite être repris par d’autres structures.
Julie : AAEC a d’ailleurs déjà en tête de développer des activités dans le sud du Togo, dans une zone touristique où il y a beaucoup de tourisme sexuel, en s’appuyant sur des acteurs qui font déjà de la prévention à titre bénévole.
Vous êtes donc ensuite allées au Bénin ?
Julie : Nous avons repris la voiture pour aller jusqu’à Savalou, à 3h et demi au nord de Cotonou, la capitale béninoise. Ce trajet nous a pris près de 5h. Au Bénin, nous finançons une partie des activités de l’association Racines : les activités d’un centre de santé qu’ils gèrent à Cotonou pour les personnes vivant avec le VIH, et depuis 3 ans, un projet de prévention envers les jeunes dans leur antenne de Savalou.
Pauline : RACINES mène des actions de prévention notamment à destination des apprentis des ateliers de toute la zone. Ils ont mis en place un partenariat avec la Fédération des Artisans et par le biais de cette Fédération, ils ont identifié pour la soixantaine d’ateliers où ils sont présents un ou une pair éducateur/ éducatrice qu’ils ont formé.e pour qu’à son tour il ou elle puisse animer des petits ateliers de prévention avec ses collègues apprentis.
Nous avons assisté à 3 ateliers animés par les jeunes : il s’agit de groupes de 5 à 10 personnes qui échangent une thématique autour de la santé sexuelle. Nous avons fait deux ateliers qui portaient sur les grossesses précoces et un sur les IST. Le fonctionnement est assez simple : le pair éducateur pose une question ouverte, par exemple sur les conséquences des grossesses précoces, les apprenti.e.s s’expriment, puis ils échangent sur la pertinence des réponses. Ils parlent ensuite des conséquences et des moyens d’éviter ces grossesses. Les pairs éducateurs sont de très bons animateurs, très brillants et les apprentis sont très impliqués et contents de participer à l’animation. Ils prennent goût à s’instruire. Il y a une très bonne dynamique de prévention qui se diffuse. On sent que les apprentis intègrent réellement ce qu’ils apprennent et qu’ils vont pouvoir transmettre ces connaissances dans leurs cercles d’amis proches. Nous avons été très convaincues par ce que nous avons vu : c’est un très bon projet, impulsé par le responsable particulièrement dynamique et impliqué. C’est lui qui forme les pairs éducateurs. On sent qu’il y a vraiment une relation de confiance entre eux et c’est positivement impressionnant tout ce qu’ils arrivent à faire.
Julie : Ils interviennent dans une soixantaine d’ateliers, beaucoup d’ateliers de coiffure, de coutume, d’électriciens… Certains groupes sont mixtes. Les responsables d’ateliers sont extrêmement motivés par ces interventions , qui informent les jeunes sur les connaissances VIH, mais également sur la partie santé sexuelle et les messages sur les grossesses précoces. Nous avons du mal à le concevoir d’ici, mais les jeunes au Bénin rentrent dans la sexualité très jeunes, dès 9-10 ans parfois, et en moyenne vers 12 ans. À cet âge là, ils n’ont évidemment jamais entendu parler de prévention et tous les responsables d’ateliers que nous avons vus ont noté une baisse notable des grossesses non désirées parmi leurs apprenties.
Pauline : Avant que RACINES mette en œuvre ce projet, il y avait environ 50% de grossesses précoces chez les jeunes filles apprenties de cette zone, ce qui a pour conséquence leur déscolarisation et la fin de leur parcours professionnel. En 3 ans, ce taux est tombé à 20%. Il y a donc un réel impact et ils espèrent le voir descendre à 10% dans les prochaines années.
Julie : RACINES a élargi ses actions dans les collèges, où là-bas, les élèves ont jusqu’à 20 ans. Nous avons été dans deux collèges avec des élèves formés par l’association là aussi en tant qu’éducateur.trice.s pair.e.s. Deux jeunes de 1ère parlaient à une classe de 60-70 élèves de 3ème avec une maîtrise incroyable de leur sujet (ce jour là : les Infections Sexuellement Transmissibles). À chaque fois, nous avons rencontré les proviseurs qui étaient là aussi dithyrambiques, notamment sur les effets sur les jeunes filles. Ils ont noté eux aussi une baisse significative du nombre de grossesses précoces. Il y a donc une grande confiance entre les structures où l’association intervient et RACINES. Nous avons debriefé des activités auxquelles nous avons assisté et partagé avec eux la philosophie de la sexualité « made in Solsid », en leur recommandant par exemple de parler de sexualité au sens large et de commencer à intégrer dans leurs discours des éléments autour de l’accès des jeunes à la pornographie et aux cyber risques.
Comment s’est passée la fin de votre mission à Cotonou ?
Pauline : Nous avons visité le centre de santé et assisté à des activités un peu plus « classiques » comme un groupe de parole de mères séropositives pour parler de nutrition, notamment à destination des enfants. Cette mission a aussi été l’occasion de faire le point sur notre partenariat avec RACINES, sur les difficultés qu’elle rencontre et ses perspectives de développement.
Julie : Nous avons profité d’être à Cotonou pour rencontrer une autre association qui travaille auprès des travailleuses du sexe. Bien qu’elle ne soit pas financée aujourd’hui par Solidarité Sida, il est tout de même intéressant de rencontrer des acteurs locaux pour mieux comprendre le contexte béninois, au delà des activités que nous soutenons déjà depuis longtemps.
Pauline : Il s’agissait de ma 1ère mission en Afrique et même s’il s’agissait d’une mission dense, c’était passionnant. Les activités de ces associations sont de grande qualité et nous sommes fiers de nos partenaires béninois et togolais !